L’état de « Maëracion », auquel accèdent les Ayahuasqueros, leur fait percevoir un univers imprégné de couleurs et peuplé d’esprits, c’est cet univers magique qu’a visité, soir après soir durant des années, le peintre Péruvien Pablo César Amaringo du temps où il était Chamane. Aujourd’hui il ne boit plus l’Ayahuasca, mais peint les visions de ses voyages avec la liane. Ses oeuvres sont exposées au Japon et aux Etats-Unis, où il a publié un livre « Ayahuasca Visions » en collaboration avec l’ethnologue Luis Eduardo Luna. En 1990 il a reçu le « Global 500 award » de l’ONU pour sa contribution artistique à la préservation des traditions et cultures indigènes dans le monde. Il vit à Pucallpa au Pérou, dans l’école de peinture Amazonienne qu’il a créé pour les enfants de son quartier.
Usko Ayar est un grand bâtiment en bois de deux étages sur pilotis, au bout d’une ruelle de terre ravinée par les pluies.
Les yeux presque fermés, Pablo est assis à sa table de travail, concentré, il siffle doucement pendant que la flamme de son pinceau révèle en effleurant les ténèbres du papier, une complexe ordonnance de paysages peuplés de chamanes et d’esprits sylvestres. De temps à autre, il soulève la feuille devant son visage, les yeux clos il siffle un icario afin que le chant magique enseigné par les plantes l’aide à se souvenir des moindres détails de ses visions.
A presque 60 ans, le Maestro a l’air d’un jeune homme, son sourire est malicieux et malgré la chaleur tropicale, pas une goutte de sueur ne perle sur son visage. Il s’exprime d’une voix chantante dans cet espagnol tropical friand de diminutifs affectueux et d’expressions surannées.
– « Le tableau, que je suis en train de peindre, s’appelle « Tingunas ». Les Tingunas apparaissent en plusieurs formes circulaires, chaque tinguna contient des éléments qui peuvent se transformer en animaux, en cordes, en anges et autres personnages… Ce cercle représente le Sumiruna, et cette roue la Maéracion (ivresse ou clairvoyance de l’Ayahuasca) qui apparaît au contact d’êtres spirituels, d’animaux, d’objets, elle apparaît avec la sainteté, la connaissance, le discernement, la justice, la paix, l’amour, le pouvoir et tant d’autres choses.
La lumière représente l’illumination de la perception spirituelle, les sept étoiles symbolisent le pouvoir exact du Sumiruna, avec des limites à ses connaissances. Parce que les connaissances des êtres humains ne sont ni complètes, ni absolues, elles sont limitées en comparaison de celles des êtres spirituels.
La végétation entoure le chamane afin d’instruire son âme et son esprit, pour qu’il ait un cerveau bien construit dans un corps sain. Les chaînes sont des lianes qui symbolisent la force qui maintient la terre dans sa rotation ».
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Pablo Amaringo est né à Puerto Libertad, une petite localité forestière proche de Pucallpa, dans une famille pauvre, ses premières rencontres avec la peinture lui ont valu quelques ennuis dans son adolescence – « j’avais remarqué que la quantité et la qualité de la nourriture que notre mère rapportait du marché, dépendait de l’image imprimée sur les billets. J’ai copié un billet de cinq soles, en travaillant méticuleusement pendant plusieurs jours, je l’ai donné à ma mère sans rien lui dire. La copie était tellement bonne qu’elle a pu faire le marché avec. Lorsque j’ai répété l’opération quelques jours plus tard avec un billet plus important, les policiers sont venues m’arrêter. Je ne savais pas que c’était mal jusqu’à ce qu’ils m’arrêtent, les billets, je les faisais en peignant, je mettais du temps pour les faire, ils étaient très réussis. Les policiers m’ont pris et m’ont envoyé en prison. En prison, les prisonniers mangent, marchent, dorment… et c’est tout. Résultat : cela fait encore plus de criminels. Là-bas, j’ai enseigné la lecture, j’ai enseigné de bonnes choses. J’étais différent des autres prisonniers, je n’avais pas commis les crimes qu’ils avaient commis ».
À 16 ou 17 ans, alors qu’il travaille comme homme à tout faire sur le port, il est victime d’un problème cardiaque. – « Pour me soigner, j’ai été voir une vieille femme, une curandera qui soignait avec l’Ayahuasca. J’avais déjà pris de l’Ayahuasca, avec mon père et ma mère, mon père n’allait pas bien, et il a fallu le soigner. Je l’ai accompagné chez le curandero qui m’a dit: « prends en toi aussi, ça ne te fera pas de mal ». Alors j’en ai pris et j’ai vu des choses, mais, pas nettement. Par contre, quand j’ai pris l’Ayahuasca pour me soigner, j’ai tout de suite vu clairement. Je ne voulais pas le croire, non seulement elle me soignait, mais en plus elle tuait le mal. Quand on m’a emmené là-bas pour m’opérer, j’ai vu des docteurs avec tous les instruments pour l’opération, j’ai vu comment ils m’ont opéré : ils ont extrait mon cœur et l’ont mis sur un plateau et m’ont posé quelque chose pour respirer. Il y avait un docteur et deux infirmières, je me rappelle très bien la couleur de leurs robes, de tout ce qui s’est passé. Quand j’ai regardé ça, j’ai pensé : « est-ce que ce sont des choses vraies, est-ce que ce sont des mensonges? ». Mais ce n’était pas des mensonges, parce que pendant que nous discutions avec les esprits, il y avait cette femme avec nous. Je la regardais elle, avec tous ses vêtements, ses couleurs et je me suis rendu compte de tout ce qu’elle savait, de tout ce qu’elle avait dans son corps. Je me rendais compte de tout ce qui se passait, ce n’était pas une illusion : ça avait un corps! »
– « Je me suis soigné avec l’Ayahuasca et une nuit, l’esprit de la curandera est resté en moi, et c’est ainsi que je suis devenu chamane. J’ai pris l’Ayahuasca de 1967 à 1976 pour me concentrer, j’en ai pris pendant 9 ans toutes les nuits. Je n’ai jamais cessé d’en prendre pour rester concentré toute la journée et soigner correctement les gens. Je soignais une centaine de personnes par jour, je vivais concentré et cela m’affaiblissait énormément dans la mesure où je petit-déjeûnais léger, et je me maintenais ainsi toute la journée en prenant du lait sans sucre.
La dernière fois que j’ai pris l’Ayahuasca, c’était au mois d’avril, dans la selva, des etchiceros* m’ont attaqué pendant mon rêve, je n’ai rien pu faire et ils m’ont presque tué. Quand on m’a ramené pour me soigner, j’étais devenu fou !
Le curandero m’a réveillé, et m’a soigné ; Alors je me suis dit que j’allais faire une diète et que j’allais arrêter.
J’ai effectué ma première peinture de vision le 24 juillet 1985 en une journée. Quand Luis Luna (ethnologue ami et agent de Pablo) m’a demandé ce que je peignais, je lui ai dit une vision de l’Ayahuasca. Il m’a répondu que j’étais fou. Mais ensuite il m’a encouragé à peindre et il a même été mon agent. Je n’ai pas calculé le nombre de tableaux que j’ai peints, il doit y en avoir environ 800, certains sont dans des collections aux États-Unis ou au Japon.
Eduardo m’a encouragé à créer cette école, avant, il y avait beaucoup de jeunes qui venaient, mais il n’y avait pas vraiment d’école. Un jour, il est venu à la maison et a vu tous ces jeunes, il m’a demandé « qui sont-ils, que veulent-ils ? » Je lui ai répondu « Ils étudient la peinture, le dessin. Ici, c’est un peu comme une école » il y avait une cinquantaine d’élèves et il m’a dit « mais pourquoi ne fondes-tu pas une école de peinture Amazonienne, cherche un nom ! ». Alors, je me suis souvenu de Uscuaya, le prince qui est venu enseigner le chant et le travail. Uscuaya signifie en Quechua prince spirituel, ou prince sage.
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*Etchiceros: Sorciers malfaisants, adeptes de la magie noire.
Text & images © Hervé Merliac/Kaleidos-images · Tous droits réservés